Mag Lens-Liévin N°131

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Gervais Martel, le témoin

Gervais Martel et la Sainte Barbe, ce sont d’abord des souvenirs d’enfance. C’est ensuite la résonnance d’un passé qu’il a souhaité faire perdurer dans l’ADN du RC Lens, son club de toujours guidé et dirigé près de 30 ans par ses soins. Aujourd’hui, c’est avec un plaisir non dissimulé que l’ex-patron des Sang et Or constate le retour en grâce de la sainte patronne des mineurs auprès des jeunes générations, notamment parmi les supporters du Racing. De quoi raviver sa flamme...

Gervais, que représente pour vous la Sainte Barbe ?

« La Sainte Barbe pour moi, c’est énorme ! Parce que j’ai vécu et grandi dans les mines toute ma jeunesse. Mon père était directeur du siège de la fosse 8 à Evin-Malmaison, et de la fosse 9 à Oignies, et à chaque rentrée scolaire, il me disait toujours que si on me questionnait sur sa profession, je devais dire ingénieur du fond. Il insistait sur ça, parce qu’il descendait tous les jours, parfois même le dimanche. D’abord il est mort de la silicose, ce n’est pas pour rien, et donc cet environnement des mines, ça a été mon cadre. Même si j’étais fils d’ingénieur, je jouais dans la cité Cornuault à Evin-Malmaison au ballon avec les copains. Ma première langue, c’était le patois, et j’en suis fier. Je côtoyais tout ce milieu extraordinaire des mines, et je me suis rendu compte que ce métier était terrible. »

Racontez-nous cette descente au fond de la mine à 16 ans, parce que vous ne travailliez pas bien à l’école…

« Je faisais le malin, mais quand je me suis retrouvé à 600 mètres sous terre, après une descente à 12 mètres par seconde, c’était autre chose… J’ai rampé dans les tailles (petits tunnels qui reliaient les galeries supérieures et inférieures). Au fond de la mine, tout le monde était noir, tout le monde se tutoyait et s’appelait par son prénom. J’ai croisé toutes les nationalités : Africains du Nord, Polonais, Italiens… En remontant, mon père m’a dit : "Va te laver, et je te ramène au lycée à Arras !". Dans la voiture, il a ajouté : "Les gens que t’as vu, ce sont des gens très bien, courageux. La mine, c’est un métier noble, je pense que tu feras ce métier-là plus tard parce que tu ne fais rien à l’école. Mais si tu peux faire autre chose, ce serait aussi bien". Ça m’a marqué, je garde un souvenir important de cette journée-là. »

Ça a conditionné beaucoup de choses…

« Oui… Comme le jour où j’ai fait descendre mes joueurs au fond de la mine, alors qu’on ne gagnait pas un match, pour qu’ils se rendent compte de la chance qu’ils avaient d’être footballeur professionnel. Je leur ai dit : "Autour de vous, ce sont des supporters, ce sont vos supporters, ils donnent leur chemise pour vous, et sur le terrain, il faut le leur rendre". Cette communion, cette solidarité, pour moi c’est l’esprit de la Sainte Barbe. Ce sont des moments forts. A un moment donné, on avait honte de parler des corons, de la mine, on multipliait les clichés, mais on se trompait totalement, parce que c’est notre histoire. Le 4 décembre est une journée importante, pour éviter que ces gens-là qui ont donné leur vie pour l’Etat français, tombent dans l’oubli. »

Pour vous, c’est vraiment une journée particulière ?

« Ici, c’est comme fêter le 14 juillet ! Les nouvelles générations sont peut-être moins impactées, quoi que… C’est important de leur dire que grâce à nos anciens, vous êtes là, grâce à nos anciens, il y a un club de foot ! La mémoire est essentielle, et ici, Dieu sait si on est entouré par l’histoire. On a eu le premier conflit mondial, mais on a eu aussi les Houillères. Quand je passe devant un puits de mine, je suis fier et tête haute. Il y a un devoir de mémoire. D’ailleurs, André Delelis (ancien maire de Lens de 1966 à 1998), quand il a relancé le club dans les années 1970 après l’arrêt des Houillères, il n’oubliait jamais de parler de ce passé. Avec les tifos à Bollaert, que je trouve de plus en plus extraordinaires, il y a souvent un rapport à la mine. Aujourd’hui, il y a des marchés ou des bourses autour des lampes de mineur, c’est fou cet engouement. Je me rappelle qu’à chaque match de coupe d’Europe, j’offrais une lampe de mineur aux officiels. J’en ai offert une à Franz Beckenbauer, président du Bayern Munich à l’époque, une à Adriano Galliani, l’adjoint de Silvio Berlusconi au Milan AC… Désormais, il y a tout un patrimoine minier qui est classé Unesco. Je n’ai jamais voulu renier nos origines, elles sont juste exceptionnelles. »

  • « Y a rien qui va mal » par Gervais Martel avec la collaboration de Bernard Lions, chez En Exergue éditions, 220 pages, 22€.
  • Tous les bénéfices seront reversés à La Chance aux Enfants.

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Propos recueillis par Jean-Baptiste ALLOUARD