Mag Cambrai - Caudry - Le Cateau N°9

Feuilletez ce magazine

Consultez le contenu intégral du magazine, au format PDF, en cliquant sur l'image ci-dessous.

Philippe Gorczinski, un parcours hors du commun

Pour parler de l'œuvre entreprise un jour par Philippe Gorczynski autour de l'histoire de la bataille de Cambrai de 1917, il faudrait des pages et des pages...

Avec à peine une soixantaine d'années sur les épaules, il a derrière lui un long chemin et une carrière atypique. Après une formation en gestion et administration des entreprises, il s'oriente vers les métiers du bâtiment jusqu'au décès de sa mère où il reprend la direction de l'hôtel Béatus.

Une passion pour l’histoire de Cambrai

Rapidement, il va s’intéresser à l’histoire de Cambrai. Cela le conduit à faire des recherches et à collectionner des centaines d'ouvrages et de documents. En 1977, Michel Bacquet, historien cambrésien, organise les commémorations du 60e anniversaire de la bataille de Cambrai. Il publie un livre souvenir « Cambrai, Bataille pour 3 clochers » contenant de nombreux témoignages de soldats.

La lecture de cet ouvrage allait définitivement le bouleverser. Philippe Gorczynski bascule alors dans le monde des historiens locaux et chercheurs pointilleux de l'histoire vraie. Il sillonne les villages, les chemins, les bois. Il interroge et collecte les souvenirs des anciens habitants. Il recherche anecdotes et informations qui pourront étayer ses connaissances.

Les nombreux visiteurs britanniques qui fréquentent son hôtel ont été eux aussi sollicités. La plupart viennent justement parcourir les champs de bataille de la Première Guerre vouant un véritable culte aux combattants britanniques venus soutenir leur allié français.

Qui cherche, trouve !

En plus de rendre hommage aux soldats anglais, Philippe Gorczynski demeure convaincu que le tourisme de mémoire pourrait être un axe majeur de développement pour le Cambrésis. Les milliers de visiteurs d'outre-manche s'éparpillaient majoritairement sur les sites de la Somme, d'Arras et des Flandres. Lors d'un échange avec François-Xavier Villain, maire de Cambrai, il évoque ce manquement mais le constat est sans appel; excepté les cimetières militaires, les monuments ou les champs, il n'y a rien qui puisse retenir les visiteurs d'outre-manche dans le Cambrésis.

Une rencontre avec Marthe Bouleux de Ribécourt-la-Tour ouvrira une autre voie d'investigations ! Elle avait vu en 1919, des soldats enterrer un tank en face de chez elle. Il est alors déterminé à le retrouver pour inciter les visiteurs à découvrir le champ de bataille. Ses espoirs sont déçus car de nouveaux témoignages viennent contredire celui de Mme Bouleux. Mais sa détermination reste intacte et il élargit ses recherches à d'autres secteurs et d’autres tanks abandonnés durant les combats.

Pendant 6 années, il utilise son temps libre à explorer le champ de bataille. C'est pendant cette période qu'il va se lier d'amitié avec Jean-Luc Gibot, certainement l'un des plus grands historiens dans le Cambrésis. Ensemble, ils vont visiter les archives et les musées britanniques. En 1997, avec des informations jamais utilisées auparavant, ils ont publié un livre : « En suivant les Tanks » !

Une autre réalisation sera aussi achevée dans la foulée. Grâce à l’association créée par Philippe Gorczynski, le monument des Nations est érigé à l’entrée du village sur un terrain mis à disposition par la famille de Valicourt. Commencé en 1997, il a été inauguré en 2007. De nombreux sites où des chars avaient été détruits ont été localisés. Pour preuve, plus de 3 tonnes de morceaux de tanks sont retrouvés. Tous les moyens sont bons. Une radiesthésiste vient même prêter main forte ! Avec une photo de tank et son pendule, elle a dessiné au crayon un petit carré sur une carte IGN qui s'avérera très juste. Incroyable mais vrai !

Des moyens très techniques ont été aussi utilisés. Avec l'aide du Colonel Amourette, commandant la BA 103, des photos aériennes avec film infrarouge ont été faites. Des militaires du NEDEX (groupe de déminage de l'Armée) ont été approchés et viendront préciser une position sur le terrain à l'aide d'un matériel de détection.

Les fouilles peuvent commencer sous la direction d’Yves Desfossés du Service régional d'archéologie en coordination avec Alain Jacques, spécialiste de l’archéologie du « passé récent ». Après deux heures de sondage, le godet de la pelle mécanique heurte une plaque de blindage à plus de 2,5 mètres de profondeur. C'est le dessus du tank! Un examen rapide de l'habitacle a rassuré le groupe. Il n'y a aucun corps à l'intérieur.

« Déborah » sorti de terre

Dès le lendemain, les médias anglais, français et américains se sont rués dans le champ ou un cratère de plus de 30 mètres de diamètre avait été fait pour dégager l’épave. Quelques jours plus tard, le char est entièrement visible. C’est justement le 81e anniversaire de la bataille.

Le char a été ensuite exhumé puis transporté dans une cour de ferme où il y restera 2 ans jusqu’à ce que Philippe Gorczynski achète une grange où son association se chargera pendant 17 ans d'accueillir et de guider les visiteurs autour du tank exposé. Cette période a été utilisée pour reconstituer l'histoire du tank et le destin de son équipage. Cinq membres avaient été tués pendant les combats. Les familles seront identifiées et le parcours du tank retracé depuis sa construction jusqu'au 20 novembre 1917 où il a été détruit dans le village. Un nom lui avait été donné par son commandant « Déborah » et le numéro de l’équipage était le D 51.

Il fallait un nouveau lieu de Mémoire pour accueillir ce vestige classé en 2001 Monument Historique. Et un centre d'interprétation dédié au tank et son histoire a été inauguré à l'occasion du centenaire de la Bataille de Cambrai en 2017.

En Angleterre, cette aventure a fait grand bruit. La Reine en a d'ailleurs été informée et le maire de Cambrai a été invité à la rencontrer. Philippe Gorczynski, nommé membre d'honneur du Royal Tank Regiment aura aussi ce privilège à plusieurs reprises. Par décret royal et pour le remercier de son oeuvre, il sera aussi nommé membre d'honneur de l'empire britannique. Ce fut la consécration pour Philippe Gorczynski qui en garde encore un souvenir vivace et ému.

Découvrez l'ensemble du contenu de notre magazine en cliquant ici.

J-F.D. – Cambrai, le 8 décembre 2021