Entretien : Xavier Bertrand

Xavier Bertrand, président de la Région
« On traverse une épreuve difficile comme jamais ! »

Chaque jour, encore plus depuis le début de la pandémie de la Covid-19, Xavier Bertrand est sur le terrain. Au plus près des préoccupations et des attentes des six millions d’habitants de la région des Hauts-de-France qu’il préside depuis 2016. Chaque jour, l’ancien ministre du Travail, de l’Emploi et de la Santé tente d’accompagner et d’aider concrètement ses concitoyens afin d’éviter à la troisième région de France de sombrer dans le marasme.

Xavier Bertrand à l'écoute des salariés de Bridgestone

Comment résumer en un mot l’année 2020 ?

« Elle est terrible ! Entre tous ceux qui ont perdu des proches, ceux qui ont vécu le confinement douloureusement avec parfois des conséquences psychologiques, l’inquiétude sur l’emploi, l’incertitude sur le pouvoir d’achat. Oui, c’est une année terrible. Pour notre pays, il faut remonter à 1958-1962 pour des moments aussi difficiles. Il n’y a pas que la crise sanitaire avec la dimension sociale et économique, il y a aussi le problème de la crise de confiance envers les dirigeants du pays. Il y a aussi une crise sécuritaire avec le terrorisme djihadiste. C’est tout cet ensemble qui fait que la France et les Français traversent une épreuve difficile comme jamais. »

Dès le début de la pandémie, votre priorité a été de faire bloc derrière les soignants…

« Oui, il fallait faire vite pour les protéger et les aider ! Nous avons mis en place l’opération « Un masque pour chacun », une opération inédite à l’échelle de la région. L’idée n’était pas de chercher à remplacer l’État, mais comme il y avait une pénurie, de permettre aux habitants les plus démunis d’avoir un masque, notamment ceux pour qui chaque euro compte. Pour les soignants, nous avons mis à disposition des véhicules gratuitement et avons travaillé avec la SNCF pour aménager les horaires des TER. En première ligne, il y avait aussi les forces de sécurité, et derrière, tous ceux qui ont travaillé sans obtenir de prime de l’Etat ou de leur employeur. C’est pour cela que nous avons voulu les remercier, en mettant en place les chèques vacances (plus de 71 000 familles bénéficiaires). Si nous n’avions pas eu les routiers, les caissières, les producteurs, les salariés de l’agroalimentaire, nous aurions ajouté une pénurie alimentaire à la crise sanitaire. »

« Tenir, tenir, tenir ! »

Avec le second confinement, vous avez dû convertir le plan de relance en plan d’urgence. Des engagements forts à prendre ?

« Ce que fait la Région – et plus généralement les collectivités locales – ça ne peut être qu’une partie de l’action : au final, c’est l’Etat qui a les plus gros moyens. Il peut voter des budgets en déséquilibre, alors que nous n’avons pas ce droit. Notre priorité a été de soutenir concrètement l’économie. Plus de 5 169 entreprises des 5 départements ont été aidées par la Région. Il fallait leur permettre de tenir, tenir, tenir… puis de se préparer à rebondir, d’où l’idée du plan de relance d’1,3 milliard sur 18 mois. Mais celui-ci s’est transformé clairement en plan d’urgence. A ce jour (ndlr. Entretien réalisé le 4 décembre), on est déjà à 573 millions investis dans l’économie régionale. »

Vous êtes monté au créneau pour un meilleur flux des transports ferroviaires et un renfort du protocole sanitaire dans les lycées ?

« La Région n’a qu’une seule possibilité aujourd’hui : payer la SNCF et râler si le service n’est pas de qualité. On paie mais on râle bien trop souvent ! Les cheminots ne sont pas en cause, c’est l’organisation de la SNCF qui pêche. La maintenance, qui n’a pas été faite pendant le premier confinement, a empêché un bon fonctionnement à la rentrée. Pour les lycées, j’ai été très étonné qu’on les rouvre aussi vite après les vacances de la Toussaint. J’étais persuadé qu’on attendrait au moins une semaine pour organiser les protocoles. Et surtout, les jeunes avaient été en contact avec leurs copains, leurs cousins... J’ai vu en allant dans les lycées que le protocole n’existait que sur le papier. Depuis combien de temps les gens qui écrivent ces protocoles n’ont pas mis les pieds dans les cantines scolaires ? Ceux qui décident sont beaucoup trop décalés par rapport à la réalité. Par ailleurs, depuis septembre, nous avons dû renforcer les équipes des lycées, car il y a du personnel malade et des cas contacts. Nous avons fait appel à 1 600 agents pour remplacer ou venir en renfort. J’avais demandé aussi à ce que les classes soient dédoublées et le Ministère a fini par le faire. »

On vous sent irrité par certaines décisions ?

« Oui et il y a de quoi ! Comment se fait-il que les cantines scolaires soient toujours ouvertes pour accueillir plusieurs centaines de jeunes chaque midi, que les restaurants d’entreprise soient ouverts, alors que nos restaurants ne peuvent pas ouvrir, malgré un protocole sanitaire strict et efficace ? Alors, je redemande au Gouvernement de publier les études sur lesquelles ils se fondent pour prendre de telles décisions. Autre question, pourquoi une station de métro est ouverte pendant qu’une station de ski est fermée ? Enfin, pourquoi nos commerces de proximité ontils été fermés ? Quand il n’y a pas de bon sens, les gens n’arrivent plus à faire confiance. »

« Notre ADN, la solidarité ! »

Il faut aussi en même temps lutter contre la pauvreté ?

« C’est la raison pour laquelle on a débloqué en octobre 300 000 € pour le Secours Populaire, la Banque alimentaire, la Croix-Rouge et les Restos du coeur. Malheureusement, je suis persuadé que nous devrons recommencer cet effort avant la fin de la crise. Dans la Région, nous préparons une action de solidarité avec des industriels de l’agro-alimentaire, des grandes surfaces, pour que chacun s’engage à faire davantage pour lutter contre le gaspillage alimentaire et contre la faim. Nous sommes la seule Région à préparer une telle action, montrant une fois de plus que notre ADN est celui de la solidarité. »

Un double défi s’est accentué au second confinement. Préserver la santé des gens et sauver des emplois ?

« Je me suis entretenu avec le maire de Mazingarbe au sujet de Maxam-Tan (ndlr. Annonce la semaine dernière de 75 licenciements). On va mettre en place une cellule emploi-économie pour permettre aux salariés de rebondir. Nous ne les abandonnerons pas. Nous étions prêts à aider le repreneur mais Maxam n’a pas joué le jeu. Quant à Bridgestone, j’ai un double message. Nous faisons tout pour qu’il y ait de l’activité économique après juin sur le site de Béthune. Mais ce ne sera pas un seul repreneur qui va garder 1 000 emplois. L’objectif est d’avoir des projets de reprise différents qui vont nous permettre de garder des centaines d’emplois. Il faudra en même temps d’autres solutions pour les salariés qui ne retrouveront pas d’emploi dans le pneu ou ailleurs. On ne fera rien dans le dos des organisations syndicales et des salariés : on jouera la transparence et je ne participerai pas à une réunion de travail sans eux. Nous irons le plus loin possible sur la reconversion et le reclassement. Enfin, j’en ai déjà vu mais des dirigeants comme ceux de Bridgestone ils sont hallucinants ! Ils ont une attitude scandaleuse ! Ce sont des gens qui ne tiennent pas leurs engagements, à l’image du directeur, qui est d’ailleurs plus un liquidateur. Qu’ils arrêtent de jouer avec le feu ! »

Il y a des bonnes nouvelles ?

« Oui, avec ACC (Automobile Cells Company) notamment, le projet d’usine de fabrication de batteries électriques à Douvrin avec 2 000 emplois à la clef. Toutes les Régions voulaient ce projet, Bruno Le Maire l’avait même annoncé dans le Grand Est. On a pu compter que sur nous-mêmes et l’union de toutes les collectivités locales. Nous avons mis la politique de côté pour dire, dans un temps record, ce qu’on mettait sur la table (ndlr. La Région apporte 80 M€, la CALL 9, la CABBALR 12 et le SIZIAF 20). C’est un projet pour des jeunes qui seront formés, des gens en reconversion, des demandeurs d’emploi, des salariés de Bridgestone qui pourront rebondir. Mais ces derniers, il faut que nous trouvions d’autres solutions avant et on ne baissera pas les bras. Autre bonne nouvelle, les voitures mises à disposition par la Région vont passer de 2 € par jour à 1 € par jour. Cette baisse permettra aux bénéficiaires de garder 30 € de pouvoir d’achat par mois. Cela compte dans beaucoup de ménages. Nous renforçons aussi au maximum la sécurité dans les lycées. Je suis allé à Liévin à la demande de Laurent Duporge pour constater qu’après les travaux de cet été (700 000 € pour cantine et ateliers) il y en avait encore d’autres à réaliser. La priorité reste la sécurité des établissements.»

Des formations rémunérées

Les efforts de formation se poursuivront en 2021 ?

« Dans la région, il y a des formations rémunérées avec des emplois à la clé. Nous avons le budget pour mettre en place 100 000 à 130 000 formations rémunérées d’ici fin 2021, pour l’ensemble des publics. Sur le bassin minier, des places sont disponibles en maçonnerie et en voirie. On cherche des agents de fabrication industrielle, des mécaniciens de maintenance automobile, des coffreurs brancheurs pour le bâtiment. Un seul numéro pour se renseigner : le 0800 02 60 80. »

Et pour les indépendants ?

« Les commerçants et les indépendants veulent travailler et s’en sortir ! Je pousse le Gouvernement à mettre en place un vrai système de soutien avec un revenu assuré. Un commerçant, quand il n’a plus d’activité, n’a plus rien du tout ! Nos formations concernent aussi les commerçants et les indépendants. Notre aide au loyer pour les commerçants, avec la prise en charge de 50 % du mois de novembre, démarre très fort. Les premiers dossiers ont été instruits et les versements vont avoir lieu. J’ai un principe : on fait ou on ne fait pas, mais si on fait, on fait bien. Et l’idée est de ne laisser personne au bord de la route. »

« Je suis pro-vaccins »

Revenons à la santé, et à la très bonne nouvelle pour début 2021 avec l‘arrivée des vaccins…

« Personnellement, je suis provaccins : je n’oublie pas que nous sommes le pays de Pasteur et que la vaccination a permis d’éradiquer des maladies graves dans le monde. J’avais demandé à ce que le vaccin ne soit pas obligatoire et qu’il soit gratuit. C’est le cas : dont acte. Ce qui se joue maintenant, c’est la confiance. Il faut que le Gouvernement soit totalement transparent sur les publics prioritaires, qu’il explique les avantages du vaccin. 30 millions de personnes vaccinées au moins sont nécessaires pour obtenir l’efficacité souhaitée. Pour l’instant, les collectivités locales sommes informées mais pas vraiment associées. C’est dommage. »

Donc on peut espérer des jours meilleurs dès l’été prochain ?

« Alors attention, tous ceux qui me parlent du monde d’après, je m’en méfie. Je veux retrouver ma France, ma région d’avant. Je veux retrouver la famille, les copains, retourner dans les bars, les restaurants, je veux que nos commerces de proximité redémarrent. Je n’ai pas envie qu’Amazon soit la seule librairie. Il y aura des choses différentes mais je n’ai pas envie qu’on perde tout ce qu’on avait avant. Il faut faire attention à ce lien humain entre les uns et les autres. »

Le tourisme régional aura besoin d’un coup de pouce aussi ?

« C’est une belle clé de développement pour la région. Je suis convaincu que les Français ont commencé à redécouvrir la France et ses régions. C’est un mouvement de fond. On va développer les formations dans le tourisme. Il y a des trésors comme le Louvre-Lens dont on vient de fêter les 8 ans. Quelle belle initiative : Chirac a eu l’idée, Percheron y a cru ! C’est un atout pour notre région. Comme beaucoup d’autres sites de nos départements. »

Et pour l’Engagement pour le renouveau du bassin minier ?

« Avec les collectivités locales, on a décidé qu’il fallait un coup de fouet pour l’Engagement pour le renouveau du Bassin Minier (ERBM), car ça ne va pas assez vite pour rénover les logements. Nous demandons à l’Etat d’accélérer pour mieux loger les gens, avec moins de charges. Sur la rénovation énergétique, 7 300 logements sur le bassin minier vont entrer en travaux d’ici fin 2021. Mais il faut encore aller plus vite. On peut faire confiance au préfet du Pas-de-Calais et au préfet de Région, deux hommes de terrain, pour avancer, bien plus qu’aux grandes administrations centrales à Paris. Bon sang, qu’on fasse confiance aux gens de terrain ! »

Nous sommes à quelques jours de Noël. Que pensez-vous des dernières déclarations et décisions du Gouvernement ?

« Il était impensable de nous interdire de nous réunir à Noël. Bien sûr, il y aura une part de risque, car on va être chez soi, enlever le masque… Au jour de l’An, il faudra que ce soit plus intime que d’habitude. Mais arrêtons de régir la vie des Français ! On ne va pas non plus nous imposer le menu ! On nous dit d’être 6 à table, y-a-t-il une norme scientifique établie ? Arrêtons d’infantiliser les gens, faisons leur confiance. Personne n’a envie d’un troisième confinement en janvier. Les Français ont été disciplinés pour casser la première vague, puis pour sortir de la deuxième. Laissons les familles en profiter un peu à Noël, ils sauront être prudents ».

Propos recueillis par Laurent Marly, le 4 décembre 2020